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26 septembre 2009 6 26 /09 /septembre /2009 11:24


  "Propos sur le bonheur", d'Alain. Lu dans la collection Idées, de Gallimard.

   Signalons brièvement que la vie d'Alain,
   son engagement (à la fois sans démagogie, sans simplisme et sans compromis), et sa façon
   de le vivre, lui font honneur; et passons maintenant au livre.
   Je vais commencer par des points qui m'ont un peu irrité, mais serai beaucoup plus positif après.

   Alain, la méthode Coué, George Sand et les stoïciens.
   On voit long débat sur la méthode Coué (sans cette appellation), appliquée à plein de choses.
   Par exemple, la politesse, c'est la méthode Coué dans sa variante "l'ambiance est bonne"; page 180, Alain explique qu'il faut être poli pour propager la bonne humeur et qu'on va même soi-même en bénéficier rapidement en retour. Il y a aussi une variante pour le sommeil: faire semblant de dormir, ça aide à dormir. Ne pas penser à sa digestion, c'est assurer une bonne digestion. p157, se forcer à ne pas tousser, ça évite que la toux nous envahisse et nous donne encore plus envie de tousser; dans la même page on apprend même comment saliver pour atténuer l'envie de tousser, et on apprend à ne pas se gratter. Ce n'est certainement pas faux, mais si ce livre contient ainsi de nombreux éléments de bon sens, il va quelquefois un peu dans le détail, voire dans le trivial et l'éculé, ce qui fait que le livre est peut-être plus profitable pour les jeunes de 20 ans que pour les plus vieux. Honte sur moi, je suis en train de prétendre avoir un peu trop d'années pour qu'Alain me soit profitable - c'est en fait plus que je ne pense; j'ai quand même trouvé que malgré son côté "recette de cuisine pour une saine vie", ancêtre des livres de développement personnel, le livre d'Alain avait une certaine cohérence qui lui donne une direction générale claire, visible, sans doute même pédagogique.

La supériorité d'Alain sur Sartre.
Signalons aussi qu'on parle beaucoup du génie de Sartre, qui allait sans doute moins dans le trivial, mais qui au contraire d'Alain a raconté aussi un sacré tas d'âneries, et qui défendait Staline quand plus beaucoup de gens n'étaient assez bêtes, têtus et de mauvaise foi pour le défendre. Même avec le recul des ans, on ne voit rien à conchier dans le livre d'Alain; ça, plus le fait que tout ça est bien écrit, bien structuré, voire convaincant,
et on se retrouve avec un livre loin au dessus de tant de livres de recettes de bonheur. Alain n'injurie personne et ne parle pas de tuer des gens pour améliorer le monde; et ses développements sur la politesse et le savoir-vivre sont bons et beaux. Le fait d'avoir plus connu la vraie vie au lieu de la cuiller en argent de l'enfance de Sartre lui a-t-elle fourni plus de force contre la théorie obtuse ? Le fait d'aller dans le détail de la vie domestique est un peu irritant mais nettement moins pénible que certains écrits tardifs de Kant quant à comment ne pas trop s'enrhumer en veillant à ne pas se refroidir en respirant par la bouche.

Alain, la religion et le mariage.
La méthode Coué est aussi utilisée (non sans pertinence à mon sens) comme explication de l'efficacité religieuse: "Toute religion enferme une prodigieuse sagesse pratique; par exemple, contre les mouvements de révolte d'un malheureux, qui veut nier le fait, et qui s'use et redouble son malheur par ce travail inutile, le mettre à genoux et la tête dans ses mains , cela vaut mieux qu'un raisonnement; car par cette gymnastique, c'est le mot,
vous contrariez l'état violent de l'imagination, et vous suspendez un moment l'effet du désespoir ou de la fureur." Ne voyons pas là une défense de la religion comme moyen d'oppression du peuple; on verra plus loin très explicitement qu'Alain n'est pas du tout un religieux convaincu, et que s'il souligne quelques points efficaces, ce n'est pas du tout sans critique, et Alain est en fait un athée. La vie de couple n'est pas épargnée, avec cette recommandation du mariage de raison. Un atout du coup: ce livre du début du siècle défend des idées qu'on ne défend guère de nos jours et ça a le charme de l'originalité. J'aurai du mal à le suivre sur ce terrain, mais l'idée de ne pas saborder le navire au moindre petit souci est certainement de bon sens.

Alain et le stoïcisme.
Les stoïciens sont cités abondamment; on voit certainement un lien entre eux et Alain; mais Alain est plus pratique que Sénèque, et il s'intéresse plus au quotidien et à la bêtise des "tyrans domestiques" (souvent cités) qu'à la limite philosophique de la résistance à la douleur. C'est moins impressionant assurément que ces moines qui arrivent à ne pas crier et ne pas bouger pendant qu'ils brûlent vifs ou les amérindiens qui résistent à tout en silence; mais ça sert plus au quotidien. Enfin, Alain s'appuie sur George Sand pour souligner qu'il ne faut pas se laisser envahir par ses "humeurs", et ça donne envie de lire Sand.

Alain et Descartes.
Sans surprise, Alain est beaucoup branché Descartes. Descartes est certainement connu surtout pour son "Cogito ergo sum" et tout ce qui va avec; mais Descartes, c'est aussi un philosophe qui n'aimait pas (une grande partie de) la philosophie; comme lui, Alain n'a pas goût au développement théorique fumeux. Descartes n'aimait pas les théologiens fumeux, et Alain n'a pas cédé aux enthousiasmes stupides de philosophes réactionnaires du 20ème siècle; s'il aime la réflexion, Alain a comme Descartes quelque chose d'Ockhamien qui lui évite de partir dans la construction théorique déconnectée et dangereuse.

Alain et la mort.
Page 43, Alain parle de la mort. On a comme une proximité avec le Hagakure dont je vous ai parlé dans une autre page, via cette idée que "l'irrésolution est le plus grand des mots", empruntée à Descartes, développée par Alain, et bien proche de l'idée des samourais selon laquelle il faut être prêt à plonger dans la mort (quand on a le choix entre vivre et mourir, il faut sans hésiter choisir de mourir selon Tsunetomo; et seule cette résolution inébranlable permet d'être courageux face à la mort). L'idée est sympathique mais beaucoup moins percutante que dans Tsunetomo ou chez Mishima; il faut dire qu'en matière de mort, la culture asiatique est pertutante, et que l'occident est un peu à la traine à mon goût sur ce sujet (les parents asiatiques sont ils moins désemparés du coup que les parents occidentaux face aux questions des enfants sur la mort ?). Le chapitre d'Alain sur la mort apparait un peu fade en comparaison; mais sans jamais être tarte ou fumeux.

Alain et la vertu.
La politesse est un sujet majeur chez Alain, et la politesse bien pensée (belles phrases sur le savoir-vivre et sur la justesse de cette expression) a plein de saines conséquences. Alain parle de ce qu'il aime plus de ce qu'il
n'aime pas, et reste ouvert à la différence. Merci d'écrire qu'il vaut mieux applaudir la bonne musique que taper sur la mauvaise, et de dire qu'il faut avoir quelque chose de l'amitié entre Goethe et Schiller, qui tend vers le beau en laissant à chacun la liberté d'être ce qu'il est. Alain parle de vertu sans être tarte, et ne méprise pas, n'incite pas à mépriser, la quête du bonheur; pas plus qu'il ne réduit le bonheur au bonheur collectif; pas de simplisme et d'extrémisme chez Alain. Alain (avec Spinoza) dit que c'est le bonheur qui rend vertueux plutôt que le contraire; quelle belle idée que j'aimerais voire chez nos politiques certains jours.

Conclusions: une lecture à conseiller à M. Sarkozy ?
Alain (1868-1951)

Merci Alain! pour ces jolis passages sur la politesse, même si ça m'a irrité un peu parfois. Merci de signaler qu'il ne faut pas trop "étaler les petits mots de la vie". Merci de ces passages qui ne sont pas sans évoquer les neurones miroirs pour expliquer l'efficacité de la religion, de la politesse.
Un peu moins merci pour les passages sur le jeu, qui m'apparaissent plus confus et moins convaincants (ce que je suis râleur, alors!). Merci pour
le passage sur la France et l'Allemagne - à l'époque ces propos étaient bien utiles.

Saine lecture surtout pour la jeunesse sans doute;
peut-être est-ce un compliment qu'on peut faire à Alain qu'une bonne partie de ce qu'il a écrit est un peu de la culture de base aujourd'hui,
au moins pour un public nettement adulte (pas comme notre médiocre et triste président actuel, qui ferait bien des progrès s'il était capable de lire Alain), qui peut reste sur sa faim parfois. Le livre est un recueil d'éléments écrits pour un large public et cela se sent un peu; quoique je vois peu de lecture grand public qui soutiendrait la comparaison.
Il reste à voir si lire Alain à un âge où il correspond à un besoin peut palier à l'expérience
que l'on n'a pas; je laisse plus expert en pédagogie que moi développer ce point... Prenons l'exemple d'un président, peu au fait de ses dossiers
et peu adulte dans sa conception de la politique; deviendra-t-il un grand président en lisant posément Alain, ou faut-il qu'il vive et vieillisse pour trouver un peu de sagesse ?
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